Mémoires de Georges JANTON – Partie 3

« Je me souviens »

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LE ROSET PENDANT LA 2ème GUERRE MONDIALE

En 1939, la France déclarait la guerre à l’Allemagne et décrétait la mobilisation générale. J’avais 12 ans et je revois encore l’arrivée de Mr M….., secrétaire de mairie et instituteur à Druillat, qui accompagnait Mr J….., garde-champêtre communal. Celui-ci, à l’aide d’une clochette et de sa forte voix annonça: «Avis à la population: Aujourd’hui, 3 septembre 1939, mobilisation générale, tous les hommes aptes au combat devront rejoindre leur centre mobilisateur inscrit sur leur livret militaire et cela dans les trois jours qui suivent la mobilisation. » Puis, les deux hommes, reprenant la voiture de Mr M….., continuèrent vers les autres quartiers et hameaux de la commune. Tous les gens de mon quartier se réunirent au carrefour devant la pompe. Chacun posait des questions, c’était la consternation. Dans les deux jours qui suivirent, huit hommes quittaient leur foyer pour rejoindre leur lieu de rassemblement: six agriculteurs, l’instituteur, et le charron (Mr B….., récemment installé).
Les épouses devraient donc assurer seules la conduite de l’exploitation. Dans une ou deux fermes, les enfants étaient en âge d’aider leur mère. La solidarité s’est vite installée et les hommes qui n’étaient pas mobilisables prêtèrent
main-forte pour les gros travaux (foins, moissons et semailles).

Cette guerre « la drôle de guerre » fut de courte durée, l’armée française ayant perdu cette première bataille. L’armistice fut signé le 22 juin 1940 et les hommes pouvaient rentrer dans leur foyer. Un homme du Grand Roset ne revint pas, mort au combat, Mr M….. S….., le père de R….. Sur les routes, c’était la grande pagaille : une foule de gens encombrés de bagages fuyait devant
l’occupant, d’autres rentraient chez eux, ainsi que des soldats qui revenaient par leurs propres moyens… Combien sont morts sur les routes, mitraillés par les avions ennemis ou par les colonnes de blindés qui avaient la priorité de la route ?
Dans les jours qui suivirent cette grande débâcle, les Allemands occupèrent presque les deux tiers de la France. Pour nous tous, une période difficile commençait. Nous étions en zone libre. La première mesure imposée par le gouvernement de Vichy fut la distribution de cartes d’alimentation que nous devions retirer une fois par mois à la mairie. Elles étaient divisées en tickets de couleurs différentes que le commerçant détachait selon ce que nous achetions. Il y avait trois catégories de cartes: les J1 (pour les adultes), les J2 (pour les personnes âgées), les J3 (pour les jeunes jusqu’à 18 ans). Les J3 donnaient droit à trois tablettes de chocolat supplémentaires. A la campagne, on ne souffrait pas trop de la faim car nous avions les produits de la ferme. A la ville, c’était différent, souvent des gens faisaient des kilomètres en vélo pour un maigre ravitaillement.
Ma cousine, M….. C….., venait depuis Ambérieu, chercher chez mes parents quelques œufs, quelques légumes, un kilo d’orge pour le faire griller en guise de café.

Quelques mois plus tard, les exigences de Vichy s’accentuaient : chaque ferme, selon l’importance du cheptel, devait livrer à l’intendance de l’armée une bête à viande (ou plus). Plus tard, en 1942, l’armée allemande réquisitionna des chevaux.
Tous les propriétaires devaient présenter les équidés sur le champ de foire de Pont d’Ain. Un officier allemand assisté d’un vétérinaire choisissait les chevaux aptes au travail. La valeur de l’animal était estimée par un marchand de
chevaux. Le 8 novembre 1942, suite au débarquement des troupes alliées en Afrique du nord, la zone sud fut occupée. Le 29 novembre 1942 voit la dissolution
de l’armée de l’Armistice et des chantiers de jeunesse. Sous la pression de l’occupant, Vichy instaura le S.T.O. le 16 février 1943, qui impose deux ans de travail obligatoire en Allemagne à 31 décembre 1922. Beaucoup voulurent se
soustraire à cette mesure, mais ce n’était pas facile car les autorités prenaient des mesures contre les familles de ceux qui ne se présentaient pas. Les gendarmes avaient ordre de rechercher les insoumis et les sbires de Vichy surveillaient les maisons des familles.
C’est ainsi que A….. C….. et J….. JANTON, mon frère, avaient décidé de ne pas partir et de prendre le maquis. E….. R….. décida de se joindre à eux bien qu’il ne fut pas appelé au S.T.O. Ils tentèrent de rejoindre un maquis dans l’Isère et
firent une première halte pour la nuit à Vaux en Bugey dans la famille d’E…… Mais ils furent dénoncés par une personne du Roset (on le saura après la guerre). Dans la nuit, le père C….., F….. R….., V….. J….. partirent en vélo à
Vaux en Bugey pour prévenir les jeunes. Des représailles étaient annoncées par le chef de la gendarmerie. Le matin-même, ils rentraient.
Quelques jours plus tard, A….. et J….. prenaient le train à Pont d’Ain à destination de l’Allemagne, encouragés et parrainés par un docteur de Pont
d’Ain… Ils furent affectés dans une usine d’armement à Kassel où ils subirent les
bombardements et ne rentrèrent en France qu’après la Libération.
Les enfants de troupe de l’école d’Autun avaient déménagé une première fois dans le sud de la France et après l’occupation de cette zone, c’est au camp de Thol près de Neuville sur Ain qu’ils se réfugièrent. Courant 1944, les autorités voulurent les renvoyer dans leur famille mais la plupart des jeunes décida de prendre le maquis. C’est dans les bois de Priay au lieu -dit « La Moutonnière » qu’ils avaient établi leur camp ainsi que dans le bois de « La Paille » non loin de la route du Roset à Dompierre à environ un kilomètre de chez nous. Le
professeur P….. (leur professeur de philosophie) avait rejoint ses élèves. Tous ces jeunes n’étaient guère plus âgés que moi. Ils étaient pleins de courage et motivés pour combattre l’ennemi. Ils ont subi de lourdes pertes lors de la bataille de Neuville sur Ain. Ils ont également soutenu le sabordage des locomotives à la gare d’Ambérieu.
Leur chef était G….. G….. de Pont d’Ain, sous le nom de commandant A…… Je me rappelle de cet homme décidé, qui, un matin s’arrêta et demanda à mon père s’il pouvait nous demander des services. Immédiatement, la réponse de
l’ancien combattant de 14-18 fut affirmative. Et c’est à ce moment-là que mon voisin E….. G….. et moi-même entrèrent en action. J’avais 17 ans et E….. 38. A….. nous avait demandé bien sûr la plus grande discrétion car il y avait des
jeunes pendant la nuit qui avant le jour rejoignaient leur camp. Nous ayant confié un pistolet de signalisation, nous avions la surveillance de la départementale 109 (la route Priay-Bourg) pendant la nuit. Quand on constatait qu’il n’y avait plus de passages de véhicules, (c’était souvent très tard, parfois vers deux heures du matin) on envoyait une fusée et des hommes du camp pouvaient partir au ravitaillement ou pour des actes de sabotage envers la voie ferrée ou d’autres objectifs. Dans le cas contraire, si la route n’était pas libre, on envoyait une fusée de couleur différente. Les camions leur avaient été donnés par la scierie L….. de Neuville sur Ain et des commerçants de Pont d’Ain. Le 10 juin 1944, vers 11h, le chef A….. et quelques hommes du camp arrivèrent en trombe au Roset, ayant été prévenus qu’une colonne allemande se dirigeait sur Pont d’Ain, venant de Meximieux. Ils réquisitionnèrent plusieurs personnes dont mon père et moi-même ainsi que le père C….. qui rentrait chez lui avec la Grise (sa jument) et le tombereau. Nous avons mis dans le tombereau tous les outils nécessaires à la coupe des arbres: 4 scies passe-partout, des haches (il n‘y avait pas encore de tronçonneuses!), des masses, des coins (outil en fer biseauté servant à fendre et à caler).
Nous voilà partis en direction du Pont de Suran afin de couper 5 ou 6 marronniers pour établir un barrage juste avant le moulin D……. Le
travail accompli, chacun rentra, soit en vélo, soit avec l’attelage. Mon père s’était blessé à une cheville et le soir, ce fut le docteur D….. (réfugié à La Blanchère) qui vint le soigner. Un peu plus tard, en vélo, le chef A….. rejoignant le camp,
la mitraillette en bandoulière, vint rendre visite à mon père. Ma mère, voyant qu’A….. était fatigué de cette dure journée, lui servit un bon café qu’il
avait bien apprécié.
Le lendemain 11 juin, la colonne allemande qui se dirigeait vers Pont d’Ain se heurta au barrage.
Des soldats réussirent à se faufiler à travers les arbres couchés sur la route et arrivèrent dans la cour du moulin. Ils tuèrent froidement le meunier Mr D….. sur le pas de sa porte. La fille du meunier, récemment accouchée, dut descendre
avec son nouveau-né. Le moulin fut fouillé et incendié. Le fils eut la vie sauve grâce à la roue du moulin dans laquelle il s’était caché.
Le professeur P….. et le commandant A….. passaient assez souvent pour nous encourager et nous remercier. Parfois, ils nous informaient des actions qu’ils préparaient. Pour notre sécurité, nous avions installé une vieille caisse de
tombereau sous une grosse haie de noisetiers, cachée par des fougères, non loin de la maison. Souvent, c’est là que nous dormions par prudence pour nous et pour les personnes du camp.
Personne n’avait connaissance de nos activités, sauf Mr C….. le père d’A…… Mais nous savions qu’une personne au hameau surveillait nos
activités…

A la fin du mois de juillet 1944, deux hommes d’un autre groupe( de la région de Saint-Martin) qui connaissaient bien E….. nous demandèrent un service assez délicat. Il s’agissait de transporter et de cacher une quinzaine de sacs contenant
officiellement de la farine… Nous avons accepté, mais il fallait trouver un endroit sûr. L’après-midi, E….., au lieu-dit « Le Paquis du Bois », pas très loin de la route mais assez pour ne pas être vu.
Nous avons préparé un lit de fougères assez épais pour isoler la marchandise du sol (nous n’avions pas de film plastique…). Donc rendez-vous fut pris pour le lendemain à midi car nous savions qu’à cette heure-ci c’était l’heure du repas. A 11h30, j’attendais avec mes bœufs et le char. Nous étions camouflés dans la cour d’E…… Le camion arriva, on déchargea les sacs et on les plaça sur le
char. On recouvrit le chargement avec une bâche.
A midi juste, je me mis en route en direction de la cachette distante d’environ un kilomètre. J’empruntai la route de Dompierre. Mais arrivé à la hauteur de la maison de Mr M….. (à environ 100m du petit chemin qui conduisait à la
cachette), soudain, deux « tractions » surgirent derrière moi. J’ai fait serrer l’attelage le plus possible sur la droite afin de les laisser doubler.
Mais elles me suivaient… et en me retournant, j’aperçus à travers le pare-brise des uniformes allemands. Vous imaginez ce que j’ai pu ressentir… Je transpirais en envisageant le pire pour moi et peut-être aussi pour ma famille et les
gens du Roset si la cargaison était découverte… Les cents mètres qui me restaient à faire m’ont parus vraiment très longs… J’amorçai mon virage
à droite et ils stoppèrent en face du chemin en me regardant fixement. Et étonnamment, ils démarrèrent en trombe en direction de Dompierre.
Mes jambes ne me portaient plus… Enfin, j’arrivai à la cachette où E….. et mon père m’attendaient. Ils avaient assisté à la scène, cachés dans le bois. On lisait encore la peur sur nos visages. Puis, reprenant nos esprits, nous
déchargeâmes notre dangereuse cargaison. Mon père se chargea de reconduire l’attelage chez nous pendant qu’E….. et moi, nous rentrâmes par les prés tout en nous cachant derrière la grosse haie. Nous avions la crainte constante du
retour en force des soldats allemands. Vers 19h, les deux tractions redescendirent et prirent la direction de La Ruaz.

Quelques jours après, nous avons appris que les officiers allemands qui étaient à bord des deux véhicules avaient été invités à la chasse par Mme C….. sur sa propriété du Mas Bouchy. En effet, le fils de son garde-chasse, Mr G….., faisait partie des dix-sept personnes arrêtées au cours de la râfle à Ambérieu en Bugey le 5 février 1944. Ils avaient été envoyés à Drancy et de là en Allemagne. Mme C….. avait pensé qu’en invitant les officiers allemands à une partie de chasse,
ceux- ci pourraient intervenir dans la libération du fils de son garde-chasse. Mais ses espoirs et ses efforts furent vains car Mr G….. n’est jamais revenu. Celui-ci avait un fils, J….. qui habite Druillat au lieu-dit « la Planche ». Pendant une quinzaine de jours après cette expédition, nous étions inquiets de voir surgir les Allemands pour des recherches et des représailles. Il n’était pas question de dormir à la maison. Seul mes parents restaient pour soigner le bétail. De
bonne heure le matin, je rentrais à la ferme pour aider au travail, mais avec toujours cette appréhension de la répression. allemands arrivent en force à Pont d’Ain, mettent le feu à 53 maisons et font sauter le pont routier.
Mes trois tantes, oncles et cousins (les familles M….., D….. et G…..) qui demeuraient à Pont d’Ain se réfugièrent chez nous, leurs maisons
ayant été incendiées.
Vers le 3 septembre 1944, les troupes américaines arrivaient à Rossettes, Montbègue, et le lendemain à La Ruaz. Nous ne pensions pas revoir des
Allemands au Roset… Mais ce même jour, vers 10h, venant de Dompierre, ayant arrêté leur véhicule cinq cents mètres avant la maison de Mr M…., une dizaine de soldats allemands fit irruption dans la cour de C….. M….., en hurlant: « Le Roset – terroristes, terroristes ». Ils commencèrent à fouiller la maison et ses dépendances. R….. qui n’était pas au bois avec le père M….. ce jour-là, eut juste le temps de se cacher sous une pile de fagots. Un soldat qui faisait déjà le tour des tas de bois , le fusil en position de tir, passa tout prés de R….., heureusement sans le voir. Deux soldats prirent en otage trois personnes: C….. M….., L….. M…… et F….. R…… Ils étaient dos au mur, gardés par un soldat jusqu’au retour des ceux qui fouillaient les autres maisons. Deux soldats
partirent au Grand Roset en passant par le quartier de Mr C…… et le chemin de l’étang.
Mr L….. P…… qui habitait au Plan courut prévenir les gens du Grand Roset que les
Allemands arrivaient. Un groupe de personnes s’était rassemblé dans la cour de la maison P….. (maison de L….. C…..) …Et ces personnes attendaient les Américains par la route de Priay !
Mme S….. (la mère de R…..), se précipita pour leur annoncer le revers de la médaille , et dans sa course, elle perdit son appareil dentaire, mit le pied dessus et le brisa… Deux soldats allèrent jusqu’à la cabine téléphonique au café M…..,
arrachèrent le combiné en menaçant que si l’on cherchait à rétablir la ligne, le lendemain ils prendraient des sanctions en faisant brûler la maison et fusiller ses occupants. Mais heureusement, ils n’ont pas eu le temps…
Cinq soldats arrivèrent dans notre cour, toujours en criant: « Le Roset – terroristes ». Le matin, une jeep américaine était passée, elle se dirigeait vers
La Ruaz. Elle avait laissé des traces de pneus sur la route boueuse. Un des soldats allemands appela mon oncle D….. qui se trouvait dans notre cour. Il
lui demanda quelles étaient ces traces sur la route. C’est alors que mon cousin A….. G….., 16 ans, étudiant, connaissant un peu l’allemand, s’approcha et lui fit comprendre que c’était le camion du laitier. Cependant, il ne fut pas convaincu et les autres soldats commencèrent à chercher autour de la maison. J’étais sous la remise, je courus vers ma mère qui sortait du poulailler avec des œufs dans son tablier afin de lui annoncer la présence des soldats allemands.
Brusquement, elle lâcha le tablier avec les œufs, quant à moi, je ne voulais pas qu’ils me trouvent croyant que je me cachais. Le long du mur du hangar, une bassine remplie d’eau me permit de vite me déchausser et de faire celui qui se lavait les pieds. J’eus juste le temps de commencer, qu’un soldat était déjà vers moi avec son arme, prêt à tirer. Ma mère qui était à côté de moi, lui fit comprendre que j’étais un peu simple d’esprit… Il me regarda fixement, puis
rejoignit les autres dans la cour. Une fois de plus, j’avais beaucoup transpiré! Pendant ce temps, ils avaient fouillé l’étable. Ils cherchaient des bœufs, mais toutes les bêtes étaient au pré. Y avait-il un rapport entre les bœufs et l’attelage du char de farine? La maison aussi avait été fouillée.
Deux autres soldats descendirent dans le quartier du bas pendant que d’autres empruntaient l’impasse (actuellement impasse des Charmilles) qui conduisait chez le sabotier Mr S……. Penché sur son plot, il fut surpris par le soldat qui
lui tapa sur le dos avec le canon de son fusil tout en lui disant: « Américains, Américains ». Se retournant brusquement avec la cuillère à sabots, Mr S….. répliqua: « Vous Américain? ». Et l’Allemand de répondre: « Nicht! Nicht! » tout en faisant demi-tour. La maison de Mr M….. A….. était alors en construction, un officier grimpa en haut de l’échafaudage et regardant au loin avec ses lunettes d’approche, vit sur les hauteurs de Rossettes les batteries américaines dirigées sur Le Roset. Il descendit rapidement et cria: « Raoust! » et tous repartirent en direction de Dompierre. N’ayant pas trouvé de terroristes, ils libérèrent les trois personnes prises en otage.
Pressés de repartir, ils prirent quand même le temps de mettre en travers de la route au Plâtre deux gros chênes qui étaient sur le bord. Une mine et une grenade étaient cachées sous les chênes.
Ils reprirent leur véhicule et on suppose qu’ils se sont heurtés aux troupes américaines qui occupaient déjà une grande partie des routes.
L’après-midi, ayant été prévenus de la présence de ce barrage, A….. G….. et moi-même, sommes allés jusqu’à La Ruaz où étaient cantonnées des troupes américaines. Avec l’aide d’un interprète, nous avons pu les informer de ce barrage. Deux soldats américains sautèrent dans une jeep et nous firent signe de monter avec eux. Nous descendîmes une cinquantaine de mètres avant le
barrage. Ils désamorcèrent les deux engins et enlevèrent les arbres libérant ainsi la route.
Ensuite, ils nous donnèrent des gâteaux et des cigarettes, puis nous reconduisirent vers nos vélos à La Ruaz. Nous étions enfin soulagés de ne
pas revoir les Allemands au Roset.
Le soir même, alors que je préparais une fournée de pain, une déflagration terrible se fit entendre accompagnée de gerbes de feu. Tout le monde se
précipita dans la cour. C’était le dépôt de munitions de La Réna non loin de Lent qui sautait et depuis Rossettes, les batteries américaines tiraient également des salves d’obus sur le dépôt.
On pouvait assister à un véritable feu d’artifice car des gerbes de feu passaient au-dessus des maisons. Deux jours plus tard, les troupes alliées occupaient toute la région, nous étions cette fois complètement libérés.
Mais il fallut attendre plusieurs mois après la capitulation de l’Allemagne pour voir revenir ceux qui avaient échappé à la barbarie nazie (prisonniers, déportés et S.T.O.).

Dans les années 80, j’ai visité des camps de concentration: Buchenwald-Dora, Dachau, représentations apocalyptiques des horreurs perpétrées par des êtres humains envers d’autres.
Quelques mois après la Libération de la France, l’un des chefs du camp de la Paille vint nous voir
afin de nous remercier pour les services rendus. Il nous dit: « Vous avez travaillé sans armes, mais l’arme que nous vous avions confiée était la discrétion, ce qui vous a préservés et nous aussi.
Vous avez pris des risques, mais le pire a été évité. » Puis, s’adressant à moi, il me conseilla d’écrire mes souvenirs de cette période pour mes enfants et petits-enfants.
Quelques-uns furent au courant de nos activités après la Libération. Aujourd’hui, il ne reste malheureusement au hameau plus que deux personnes ayant connu ces heures difficiles: Mr R….. M….. (93 ans) et moi-même (88 ans).
J’ai toujours assisté aux commémorations du 8 mai et pendant que je pourrai je serai présent.
J’espère que les générations actuelles et futures transmettront, feront ce devoir de mémoire.
N’oublions pas ceux qui sont morts au combat, les maquisards, les déportés, nos soldats, pour que revivent nos libertés.

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